Le mystère transatlantique
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Le mystère transatlantique

Les primates du Fayoum, ainsi que d’autres fossiles de la même époque, présentent de nombreuses similitudes avec les singes qui vivent aujourd’hui en Amérique centrale et en Amérique du sud. Sous bien des aspects, ils ressemblent davantage à ceux-ci qu’aux singes ou grands singes d’Afrique et d’Asie.

Il semble que ces premiers simiiformes (qui donnèrent les simiens) soient à l’origine de deux divisions majeures de cette famille de primates : les singes du Nouveau Monde et le groupe de l’Ancien Monde, qui engendra les singes et les grands singes d’Afrique et d’Asie. Les études d’ADN de primates suggèrent en effet fortement que l’ancêtre commun des simiens du Nouveau Monde et de l’Ancien Monde vécut à peu près à cette période (il y a 25 à 30 millions d’années). D’autres fossiles soutiennent également l’hypothèse d’une origine commune en Afrique, voilà 30 millions d’années (une poignée seulement de fossiles primates sud-américains dépasse les 20 millions d’années, et les quelques fossiles de type simien antérieurs à ceux du Fayoum se trouvent tous en Afrique). Nous voici face à un réel mystère : comment, depuis l’Afrique, les ancêtres des singes du Nouveau Monde ont-ils traversé l’Atlantique ? Cette question plonge les scientifiques dans la perplexité depuis des décennies.

Une chose est sûre cependant : les primates d’Amérique du Sud ne peuvent provenir des prosimiens Adapidae du nord du continent (les analyses moléculaires apportent la preuve qu’ils descendent du même ensemble de singes et de grands singes de l’Ancien monde, et non de la branche des prosimiens). De plus, l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord étaient séparées en deux continents distincts jusqu’à il y a environ 20 millions d’années.

 
l’Aegyptopithecus zeuxis était typique des nouvelles espèces de primates apparues il y a quelque 30 millions d’années. Ces premiers anthropoïdes sont les ancêtres de nos singes et grands singes d’aujourd’hui.

La migration depuis l’Afrique, soit par la traversée de l’Atlantique, soit via l’Antarctique, semble la solution la plus plausible. Traverser l’Atlantique n’est pas aussi improbable que l’on pourrait le penser. Il y a 30 millions d’années, l’océan Atlantique, à son point le plus étroit, n’était large que de 500 km (depuis l’ère des dinosaures, et encore aujourd’hui, le Nouveau et l’Ancien Monde s’éloignent l’un de l’autre). Mais, surtout, les animaux ont pu se servir de la chaîne insulaire qui émergeait au milieu de la partie sud de l’Atlantique, comme de pierres de gué. Aujourd’hui immergées, ces îles forment en partie la dorsale médio-atlantique, une immense chaîne montagneuse sur le fond océanique qui pousse les plateaux continentaux américain et afro-européen. De larges zones de plaques continentales autour de l’Afrique et de l’Amérique devaient alors émerger, du fait du très bas niveau des eaux à cette époque.

Les animaux n’eurent donc pas à parcourir une distance énorme. Un groupe d’individus a ainsi fort bien pu, lors d’une pluie torrentielle par exemple, partir au large sur un tronc d’arbre ou un radeau de végétation. Les courants océaniques dirigés vers l’ouest les auraient emportés jusqu’aux abords du Brésil.

Aujourd’hui encore, les tortues Luth empruntent chaque année cette route depuis l’île de l’Ascension, où elles s’alimentent, jusqu’aux Caraïbes, où elles se reproduisent.

La voie de l’Antarctique est, elle aussi, plus plausible qu’il n’y paraît. Jusqu’à environ 20 millions d’années avant notre ère, l’Amérique du Sud et l’Antarctique étaient reliés par la saillie que l’on voit encore s’étirer en direction du cap Horn. L’Antarctique n’a d’ailleurs pas toujours présenté son paysage glacé actuel. En effet, avant de disparaître avec le capitaine Scott au cours de leur expédition fatale au pôle Sud, le jeune botaniste John Wilson apporta la preuve que l’Antarctique avait un jour été boisé. Cette voie devient alors encore plus plausible quand on sait que nombre des premiers sites fossiles d’Amérique du Sud se trouvent au sud de l’Argentine et du Chili, les régions les plus proches de l’Antarctique.

Comment les primates atteignirent l’Amérique du Sud, depuis l’Afrique, il y  a encore 30 millions d’années, demeure un mystère. Ces deux zones continentales étaient néanmoins alors beaucoup plus rapprochées.
les dents sont révélatrices du comportement des espèces de primates. Un babouin anubis mâle exhibe ses canines redoutables, dont il ne manquera pas de faire bon usage si son adversaire ne le prend pas au sérieux.

Qu’y a-t-il dans une dent ?

Les dents constituent les restes fossiles les plus courants ; en fait, certaines espèces de primates éteintes ne sont connues que grâce à quelques dents qui leur ont survécu. Celles-ci sont en effet constituées d’un matériau extrêmement dur (l’émail), très résistant même après la mort de l’animal. En comparant les dents fossiles à celles des primates actuels, les scientifiques sont capables de glaner une quantité surprenante d’informations sur les habitudes des mammifères disparus.

La taille d’une dent, en particulier d’une molaire, est un bon indice de la corpulence de l’animal. Parce qu’il leur faut manger davantage, les grands animaux sont dotés de dents plus grosses afin de hacher les aliments plus vite. La taille relative des dents nous informe sur le régime alimentaire. Les frugivores possèdent de larges incisives et de petites molaires. L’opposé vaut pour les folivores. Les fruits doivent effectivement être tranchés en morceaux, mais guère mâchés, tout le contraire des feuilles. Au microscope, l’usure des dents est révélatrice ; pour les protéger, la couche d’émail est plus épaisse chez les animaux vivants au sol, dont les aliments sont souillés de terre. On note également plutôt d’éraflures, mais moins d’arêtes sur les molaires.

La taille relative des canines nous renseigne sur le mode de vie sexuelle des espèces. Celles, comme les babouins, où les mâles ont des canines beaucoup plus grandes que les femelles, pratiquent la polygamie, les mâles se faisant concurrence pour s’approprier les femelles du groupe. Les espèces où les femelles ont des canines aussi grandes, voire un peu plus, que celles des mâles sont monogames.

Le colobe guereta d’Ouganda fait preuve d’une agilité caractéristique. Ses yeux orientés vers l’avant lui offrent la vision tridimensionnelle indispensable à un bon atterrissage.

Voir en trois dimensions

Comme chez la plupart des mammifères, les yeux de nos ancêtres Plésiadapidae étaient orientés sur les côtés plutôt que vers l’avant. Cette disposition offre une vision très large et permet aux animaux de détecter facilement leurs prédateurs. Mais, pour qu’un animal puisse voir en trois dimensions, et soit donc à même d’apprécier les distances, les champs visuels des deux yeux doivent se chevaucher, ce qui était à peine le cas chez les Plésiadapidae.

Le temps que les Adapidae (les premiers vrais primates) apparaissent, les orbites s’étaient déplacées vers l’avant de la tête, offrant une vision frontale et des champs visuels qui se chevauchaient. Capables de voir en trois dimensions, ces animaux pouvaient apprécier correctement les distances, une nécessité pour les espèces qui se déplacent en sautant dans les arbres. Mais, les pommettes ne pouvant plus soutenir à elles seules les orbites des Adapidae, un anneau osseux spécial vint maintenir les globes oculaires, une caractéristique que l’on retrouve chez les prosimiens d’aujourd’hui.

Les singes et les grands singes allèrent encore plus loin. Leurs yeux vers l’avant et leur museau court offraient une vision tridimensionnelle plus large que celle des Adapidae. l’anneau fut remplacé par une cavité osseuse robuste qui entourait et soutenait chaque globe oculaire. Elle empêchait ainsi les muscles des joues de venir heurter les yeux au cours de la mastication, problème qui tracasse encore aujourd’hui les prosimiens. Des globes oculaires très mobiles compensaient le manque de vision globale.

Le tarsier, curieux primate à la croisée des prosimiens et des simiens, est une exception notable : ses yeux en position frontale peuvent à peine bouger, ce qu’il compense en tournant sa tête à 180°, comme le hibou.

 

 

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