Les modes de vie des singes / les singes du nouveau monde
En émergeant à la lumière du jour, les singes se virent offrir un vaste éventail de possibilités. Libérés des contraintes du monde nocturne des prosimiens, ils purent s’approprier de nouvelles niches par delà les forêts tropicales, dans les savanes, les déserts et les plateaux montagneux. Les régimes alimentaires et les modes de vie se diversifièrent, des gommivores aux frugivores et même aux herbivores déclarés. Il est plus facile de mener une existence diversifiée le jour que la nuit, quand la visibilité réduite et la dépendance vis-à-vis des odeurs limitent le choix de la nourriture. Le changement de mode de vie s’accompagna de modifications sensorielles. A la différence des prosimiens, la vision devint le sens prédominant chez les singes, gagnant en netteté et en sensibilité aux couleurs, ce qui les aida à choisir les fruits les plus mûrs ou les feuilles les plus tendres, et leur permit d’être continûment aux aguets.
Les singes du nouveau monde
Grâce à leurs facultés d’adaptation, les singes ont pu élire domicile à la fois dans l’Ancien Monde, en Afrique et en Asie, et dans le Nouveau Monde, en Amérique centrale et en Amérique du sud. Les singes de l’Ancien Monde et du Nouveau Monde présentent des différences caractéristiques et manifestent des modes de vie extraordinairement variés.
Les singes du Nouveau Monde sont dits Platyrrhiniens, ce qui signifie “à narines écartées” : leurs narines sont en effet larges et dirigées sur les côtés, au contraire de celles, étroites et orientées vers le bas, des catarrhiniens (les singes et les grands singes de l’Ancien Monde). Les singes du Nouveau Monde se distinguent aussi de leurs cousins de l’Ancien Monde par leur queue préhensile dont ils se servent comme d’une cinquième main. Vivant exclusivement dans les forêts, ils n’ont pas la diversité d’habitats de ceux de l’Ancien Monde, mais ils n’en ont pas moins développé des modes de vie très divers.
En termes de mode de vie, on peut séparer les singes du Nouveau Monde en deux grands groupes. Le premier comprend les ouistitis et les tamarins, des petits animaux qui voltigent d’une branche à l’autre en poussant des pépiements aigus, presque comme des oiseaux. Le second inclut les singes plus grands, aux apparences, comportements et régimes alimentaires plus variés. Certains d’entre eux sont frugivores, d’autres sont folivores ou granivores.
Ouistitis et tamarins
Ces très petits singes, guère plus grands qu’un écureuil, sont dotés d’un poil fin et soyeux, et d’une extraordinaire panoplie de moustaches, crinières, crêtes et touffes. Ce sont les seuls singes qui possèdent des griffes à la place d’ongles (hormis sur le gros orteil), celles-ci leur permettant de maintenir leur prise quand ils escaladent de gros troncs d’arbre. Ce sont des mangeurs de gomme. Leurs dents inférieures spécialement adaptées leur permettent de creuser des trous dans l’écorce pour favoriser l’écoulement de la gomme. Ils terminent souvent leurs repas en apposant leurs marques odorantes ou en urinant pour signaler que ces trous sont leur propriété, et dissuader d’autres ouistitis de venir s’y nourrir. Le ouistiti mignon est le plus grands mangeur de gomme : celle-ci compose près de 70% de ses repas. Les autres ouistitis se nourrissent essentiellement de fruits, ne se tournant vers la gomme que lorsque ces derniers viennent à manquer. Nectar, fleurs et petits animaux tels qu’escargots, lézards et grenouilles, agrémentent parfois leur quotidien. Dotés d’un régime semblable, les tamarins sont, eux aussi frugivores, mais montrent un goût moins marqué pour la gomme.
Les habitats forestiers des ouistitis et des tamarins sont très variés. On les rencontre dans les hautes forêts tropicales humides et vierges, dans les forêts sèches, où les arbres sont nus la moitié de l’année, et dans les parcelles forestières de la savane amazonienne. C’est dans les forêts préservées qu’ils semblent le plus à l’aise et sont les plus nombreux. Ils apprécient également les zones de végétation touffue et les plantes grimpantes, où ils trouvent un abri sûr pour la nuit, ces petits primates étant souvent victimes des oiseaux de proie.
La concurrence est rude entre les différentes espèces de ouistitis et, en raison de leur régime gommivore particulier, un habitat donné n’en abrite jamais plus d’une. En revanche, on voit fréquemment plusieurs espèces de tamarins partager le même habitat et s’unir pour le défendre. On peut ainsi voir des groupes de tamarins empereur (ainsi nommés à cause de leur longue moustache de type oriental) et de tamarins à tête brune (qui doivent leur nom à leur fourrure plus foncée sur la tête) partager leur territoire, se déplacer ensemble et rester en contact par leurs cris. Cette façon d’évoluer réduit l’éventualité d’attaques de prédateurs, améliore la défense du territoire et facilite la recherche de la nourriture. Les deux espèces se nourrissent sur les arbres et les plantes grimpantes dont les fruits mûrissent les uns après les autres au fil des semaines. Elles visitent donc les plantes tous les trois ou quatre jours pour manger les fruits mûrs et laisser aux fruits encore verts le temps de mûrir. En prenant leurs repas en même temps, les deux espèces savent où et quand trouver des fruits “à point”, évitant ainsi des allées et venues inutiles vers des sites déjà épuisées.
Une vie nocturne : Les douroucoulis, qui vivent en Amérique du Sud, sont des singes vraiment nocturnes. Ils se nourrissent de fruits, d’insectes et de feuilles, et vivent en petits groupes familiaux constitués d’un mâle, d’une femelle et de leur progéniture. Comme tous les animaux nocturnes, ils sont dotés de grands yeux pour voir le noir. Contrairement aux prosimiens, leurs yeux ne possèdent pas la couche réflective spéciale (le tapetum) qui affine la vision de ces derniers, et ils distinguent les couleurs. Ces étonnantes caractéristiques suggèrent que les douroucoulis ont pour ancêtres des singes diurnes qui seraient retournés à une existence régie par le clair de lune, probablement afin d’échapper aux oiseaux de proie, comme les faucons et les aigles. Bien que leur vision nocturne soit beaucoup plus fine que celle des autres singes, les douroucoulis ne sont pourtant pas complètement adaptés à une existence dans l’obscurité. Ainsi, ils tendent à être plus actifs à la pleine lune, dont la lueur les aide à se déplacer sur leur territoire. Les mâles profitent également de ces nuits claires pour asseoir leur revendication territoriale. Ils patrouillent le long de leurs frontières, manifestant leur présence par des sifflements.
Petits et grands frugivores
L’Amérique centrale et l’Amérique du Sud sont les hôtes de divers singes frugivores. Les capucins, ou sapajous, sont des singes robustes et trapus qui évoluent avec vélocité au sommet des branches. Ils sont dotés d’un cerveau beaucoup plus développé que ne le laisse supposer leur taille. Les fruits renfermant peu de protéines, ils complètent leur régime par des insectes, des escargots et d’autres petits animaux. Curieux et dévastateurs, ils provoquent moult dégâts dans la forêt lorsqu’ils recherchent des insectes. Certains capucins sont très friands des fruits du palmier, qu’ils ouvrent en les projetant contre les arbres. Les capucins sont les moins spécialisés des singes du Nouveau Monde et les plus disséminés, des forêts du Honduras en Amérique centrale à celles de l’extrême sud-est du Brésil.
Si leur régime alimentaire est semblable à celui des capucins, les singes-écureuils (ou saïmiris) sont plus petits, plus graciles et moins forts. Ils ne peuvent pas déchirer les feuilles de palmier ou l’écorce des arbres pour y chercher des insectes. Ils se contentent d’attraper les chenilles et les larves sur les feuilles et les branches. Dotés de dents étroites et aiguisées, ils croquent cependant davantage d’insectes que les capucins. Les singes-écureuils vivent en groupe comprenant jusqu’à 40 individus. Ils peuvent ainsi se défendre contre les prédateurs et repousser les assauts des plus grands singes.
Les autres petits frugivores du Nouveau Monde sont les callicèbes (ou titis) et les douroucoulis. Au contraire des singes-écureuils, ils vivent en petits groupes familiaux et piochent leurs protéines dans les feuilles plutôt que dans les insectes. Grâce à leur mode de vie strictement nocturne, ils évitent la concurrence avec les singes plus grands.
Les atèles (ou singes-araignées), les plus grands singes du Nouveau Monde, se nourrissent de fruits et, à l’instar des callicèbes, trouvent leurs protéines dans les feuilles. Ils occupent les mêmes niches écologiques que les chimpanzés d’Afrique. Comme eux, leurs bras allongés et leurs épaules particulièrement souples leur permettent de se balancer allègrement dans les arbres. Mais, contrairement aux chimpanzés, leur queue est préhensile, et si puissante qu’elle peut supporter tout leur poids. On les voit d’ailleurs souvent se suspendre à une branche par la queue pour cueillir les fruits avec leurs mains. Les singes laineux, leurs proches parents, sont, eux aussi, essentiellement frugivores. Apparenté à la fois au singe laineux et à l’atèle laineux se montre, pour sa part, beaucoup plus friand de feuilles.
Folivores et granivores
Les singes hurleurs sont les spécialistes folivores du Nouveau Monde. Grâce à leurs mâchoires puissantes et à leurs larges molaires, ils peuvent broyer finement les feuilles. Elles sont transformées en nutriments dans leur énorme estomac et leur intestin grêle dilaté dans lequel les aliments fermentent partiellement. La digestion étant très longue, les singes hurleurs sont moins actifs que leurs congénères frugivores. En une journée entière, ils peuvent parcourir moins de 400 m, passant les trois quarts du temps à se reposer ; force est de constater que ce ne sont pas les animaux les plus captivants à observer ! Les singes hurleurs consomment néanmoins quelques fruits, souvent moins mûrs que ceux convoités par les autres singes ; Ils semblent particulièrement aimer les fruits très fibreux, comme les figues. Dotés, comme tous les singes du Nouveau Monde, d’une queue préhensile, ils ne s’en servent pas pour se balancer ou se suspendre aux branches, préférant se déplacer lentement au sommet des branches.
Les singes granivores que sont les sakis et les ouakaris ont l’apparence la plus singulière. La face des sakis, très touffue, leur fait comme un masque, tandis que celle des ouakaris est totalement dénudée, découvrant une peau rouge vif. Les ouakaris vivent dans les forêts périodiquement inondées des bassins fluviaux d’Amazonie et de l’Orénoque. Bien que l’on ne sache d’eux que peu de choses, il paraît qu’ils se nourrissent de fruits et de feuilles aussi bien que de graines. Les sakis nous sont moins étrangers. Ils se nourrissent à 60% de graines de fruits verts. Cette proportion s’élève à 80% durant la saison sèche, pour tomber à 10% à la saison humide, quand les fruits abondent. Certains sakis sont capables d’ouvrir des noix très dures : dotés de muscles maxillaires très puissants, de canines robustes et d’un casse-noisette intégré” (formé par un creux entre les canines et les dents du fond), il leur suffit de les y coincer et de mordre.