Les singes de l’Ancien Monde
Les singes d’Afrique et d’Asie (dits de l’Ancien Monde) ont des régimes alimentaires et une organisation en groupes semblables à ceux du Nouveau Monde, mais leurs habitats sont beaucoup plus diversifiés. C’est en grande partie la conséquence de leur passage d’un mode de vie arboricole à un mode de vie terrestre.
Les colobinés
Comme pour les singes du Nouveau Monde, on peut séparer les singes de l’Ancien Monde selon qu’ils sont essentiellement frugivores ou folivores. Les folivores africains et asiatiques sont regroupés sous le nom de Colobinés. Si leur estomac rappelle celui des singes hurleurs grâce à sa grande taille, il est néanmoins plus complexe et plus efficace. Singulièrement aiguisées, les molaires des Colobinés déchirent les feuilles en tout petits morceaux, ce qui facilite la digestion. Ils choisissent de préférence les jeunes feuilles tendres, et la plupart d’entre eux complètent leurs repas avec des fleurs, des fruits et des graines.
On dénombre vingt-huit espèces de Colobinés en Asie, et seulement neuf en Afrique. Les espèces asiatiques, souvent appelées langurs ou semnopithèques, se distinguent par la couleur de leur fourrure. Elles occupent une large zone qui traverse l’Inde, la Chine, le Vietnam, la Malaisie et les îles de Bornéo et de Java. La plupart vivent dans les forêts, mais certaines, comme l’entelle d’Inde, occupent des habitats plus ouverts, y compris des zones urbaines.
Les colobinés d’Asie, les plus exotiques, et malheureusement les plus menacés, sont le nasique de Bornéo et le rhinopithèque de Chine. Le curieux nasique doit son nom à la présence, chez le mâle, d’un nez énorme, charnu et pendant, semblable à une langue ; le nez des femelles est beaucoup plus petit, et en trompette. Deux fois plus gros que les femelles, les mâles exhibent une énorme bedaine où logent leur estomac et leurs longs intestins. Ils vivent aux abords des cours d’eau dans les mangroves, et on les voit souvent nager, un exercice très inhabituel chez les singes.
Les rhinopithèques sont de proches parents des nasiques. Ils habitent les fortes de conifères des montagnes chinoises. Le rhinopithèque doré de Chine vit en groupes de 20 à 30 individus qui, à certaines périodes de l’année, se rassemblent pour former de grandes troupes pouvant compter jusqu’à 600 membres.
Les colobinés d’Afrique vivent exclusivement dans les forêts, pour la plupart à l’ouest et au centre du continent. On les différencie par la couleur de leur fourrure et la longueur de leur poil. Les feuilles de deux ou trois sortes d’arbres suffisent à nourrir le colobe blanc et noir, ou guereza, qui, n’ayant pas à s’éloigner pour les trouver, occupe des territoires assez restreints. Il est, par conséquent, moins vulnérable à la destruction de son habitat que la plupart des primates et se contente souvent de petites parcelles forestières. Le colobe blanc et noir à longs poils a un faible pour les graines, une caractéristique commune aux Colobinés d’Afrique occidentale, qui semble liée à l’abondance de graines comestibles dans les forêts. Le colobe noir, ou colobe satan, est un autre grand amateur de feuilles.
D’autres espèces africaines sont plus difficiles sur la nourriture. Le colobe bai, par exemple, a une nette préférence pour les jeunes pousses. Celles-ci étant une denrée assez rare, il lui faut se déplacer davantage que le colobe blanc ou noir, d’où son territoire beaucoup plus étendu. Les colobes bais de l’île de Zanzibar, au large de la Tanzanie, ont un penchant encore plus étrange. On les voit fréquemment ronger des morceaux de charbon de bois, dont on a découvert qu’il neutralisait les toxines présentes dans les feuilles dont ils se nourrissent.
Réaction intestinales
Sans être aussi impressionnant que celui des vaches (qui en ont cinq), l’estomac des Colobinés folivores d’Afrique et d’Asie remplit bien sa tâche de digestion des feuilles. Il est constitué de deux parties et abouche sur de longs intestins, conférant une bedaine caractéristique à ces singes. La partie haute de l’estomac est totalement indépendante de la partie basse, remplie d’acide gastrique. La partie haute doit en effet être isolée de l’acide gastrique. Ainsi, elle est l’hôte de millions de bactéries qui font fermenter les feuilles, permettant la libération des nutriments énergétiques vitaux, qui autrement traverseraient l’organisme sans être digérés. Ces bactéries inhibent aussi les substances toxiques présents dans certaines graines. Parce qu’il leur faut rester longtemps, simplement assis à digérer, les Colobinés tendent à être moins sociables que les singes frugivores. Ils ne se livrent pas aussi souvent aux séances de toilettage et ont une hiérarchie plus informelle. Ceci est en partie dû à ce qu’ils n’ont géré de concurrence à se livrer (les feuilles sont si abondantes que chacun trouve sa part), mais surtout à ce qu’ils ne peuvent pas gaspiller leur énergie dans des bagarres, car, ironie du sort, il leur en faut beaucoup pour digérer.
Certhopithèques, vervets et patas
Les colobinés d’Afrique partagent leur habitat avec les singes frugivores de la famille des cercopithèques, plus petits. Cette vaste famille compte de nombreuses espèces chacune représentant des couleurs distinctives sur sa fourrure et sa face. Bien qu’essentiellement frugivores, les cercopithèques les plus petits, comme le cercopithèque ascagne d’Afrique de l’Est, mangent des insectes qui leur fournissent des protéines ; les plus corpulents, tels le singe bleu ou le singe diane, se tournent aussi vers les feuilles, les insectes ne pouvant suffire à leur fournir les protéines dont ils ont besoin. Les types d’insectes et les techniques de capture diffèrent d’une espèce à l’autre, ce qui semble autoriser la cohabitation de plusieurs d’entre elles dans un même habitat sans trop de compétition.
Tous les cercopithèques ne vivent pas dans les forêts. Les vervets et les patas ont élu domicile dans la savane. Les vervets sont circonscrits aux zones forestières étroites qui longent les berges des cours d’eau (appelées forêts-galeries) et sont aussi à l’aise dans les arbres que sur la terre ferme. S’ils se nourrissent parfois de la sève des acacias, ils marquent une préférence pour les fruits. Les patas, en revanche, sont de réels habitants de la savane. Ils vivent en petits groupes dans des habitats très ouverts, et, au cours de l’évolution, se sont vus dotés de longues jambes, essentielles pour fuir rapidement les prédateurs des plaines africaines.
Les singes sacrés
La vie est parfois rude pour les singes. Trouver sa nourriture et éviter les dangers sont des occupations à plein temps, surtout quand les conditions environnementales sont difficiles et que la nourriture se fait rare. Certaines espèces sont cependant plus chanceuses que d’autres, et les mieux lotis sont peut-être les entelles, ou langurs Hanuman, qui tiennent leur nom du dieu-singe Hanuman. Selon la mythologie hindoue, Hanuman accompagna le dieu Rama au Sri Lanka pour y rechercher Sita, la femme de ce dernier, enlevée par le démon Ravana, le roi du Sri Lanka. Hanuman déroba un plant de manguier et le rapporta en Inde, où cet arbre ne poussait pas. Puni pour son forfait, il fut condamné au bûcher. En tentant d’échapper au brasier, sa face et ses pattes noircirent. La face et les pattes noires des entelles témoignent toujours de ce châtiment. Leur statut d’animal sacré les préserve des persécutions des hommes, bien qu’ils pillent souvent les cultures. Le jour de la fête d’Hanuman, ils reçoivent des offrandes dans les temples hindous. Et, si l’un d’entre eux meurt accidentellement (ils s’électrocutent fréquemment sur les câbles ou sont écrasés par les automobiles, les fidèles lui font des funérailles hindoues en bonne et due forme).