Qu’est-ce qu’un primate ?
Un vieil orang-outan balance nonchalamment ses 75 kg de branche en branche dans la jungle. Plus bas, caché dans le feuillage, un minuscule tarsier d’à peine 100 g somnole dans son nid, après une nuit passée à chasser les insectes. À proximité, assis sur des tas de figuier, un groupe de singes foliovores regarde passer l’orang-outan, en mâchant d’un air méditatif. À quelque distance, une troupe de macaques à queue de cochon s’enfonce bruyamment dans le sous-bois à la recherche de nourriture.
Au sol, un homme, muni de jumelles et d’un magnétophone, observe attentivement l’orang-outan. Tous appartiennent à la même famille zoologique : les primates. C’est une famille imprégnée d’histoire, dont les origines remontent au temps des dinosaures, une famille a priori quelconque et pourtant remarquable de diversité dans ses formes et ses modes de vie, et par la taille de son cerveau.
Ce qui caractérise les primates :
On compte environ 230 espèces vivantes de primates. Elles ne constituent qu’une infime fraction de toutes celles qui ont existé depuis que ce remarquable groupe de mammifères est apparu sur Terre. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette longue histoire, mais pour l’heure se pose une question plus ardue : pourquoi groupons-nous ces espèces au sein d’une même famille ? En quoi diffèrent-elles des quelque 4000 autres espèces de mammifères, comme les kangourous et les éléphants ?
Les primates forment l’un des ordres (ou subdivisions principales) des mammifères (classe qui regroupe les animaux allaitant leurs petits). Certains ordres mammaliens, comme les rongeurs et les carnivores, comprennent de nombreuses espèces. D’autres, comme les galéopihèques, seulement une poignée. Les primates constituent l’un des ordres mammaliens les plus riches.
On répartit généralement leurs 230 espèces en trois groupes principaux : le groupe des grands singes (auquel appartient l’homme), celui des singes et celui des prosimiens (lémurs, galagos et autres petits animaux secrets de la nuit). Les grands singes sont souvent qualifiés d'”anthropoïdes”. Tous ces groupes de primates partagent des traits distinctifs témoignant de leur ancêtre commun, traits qui ont évolué en fonction du mode de vie arboricole qui est le leur depuis des millions d’années. La plupart des primates habitent les forêts, ils sont capables de grimper dans les arbres, de se balancer de branche en branche, ou encore de ramper dans les sous-bois. Même les gorilles et les mandrills, qui se déplacent habituellement au sol, demeurent largement confinés aux habitats forestiers. Seuls les humains, les géladas et les patas vivent dans des zones ouvertes, où ils évoluent uniquement au sol. Néanmoins, même les géladas et les patas trahissent leur ancêtre arboricole, avec leurs pieds préhensiles, semblables à des mains, qui en font de bons grimpeurs, Seuls nous autres humains sommes de piètres grimpeurs, nos pieds ayant perdu leur capacité préhensile pour assurer un appui stable autorisant le type de marche propre à notre espèce.
Un mammifère plutôt ordinaire :
Anatomiquement, les primates se révèlent être des mammifères étonnamment peu originaux. De taille moyenne et sans forme corporelle spécifique, ils ne présentent aucun des traits distinctifs d’autres ordres mammaliens, comme les pieds bien particuliers des mammifères à sabots ou le profil hydrodynamique des dauphins. Ils ressemblent de très près à leurs ancêtres fossiles et n’ont guère évolué depuis le début de l’ère des mammifères, il y a quelque 65 millions d’années.
Nous pouvons malgré tout identifier un certain nombre de caractéristiques-clés, communes à la plupart d’entre eux (mais pas à tous) ; des yeux orientés vers l’avant pour une vision binoculaire ; des ongles à la place des griffes ; une main et un pied à cinq doigts, rendant la main semblable à une pince ; un cerveau relativement gros ; et une longue enfance, qui se prolonge bien au-delà du sevrage.
Hormis ces caractéristiques, peu de choses différencient les primates d’autres ordres mammaliens tout aussi anciens, comme les insectivores (hérissons et musaraignes) ou les rongeurs. leurs oreilles ne sont pas spécialisées (à la différence de celle des chauves-souris), pas plus que leurs dents (contrairement aux canines des carnivores) ; et leurs mains et pieds ne sont guère différents de ceux à cinq doigts des premiers mammifères (exception faite des sabots).
Mais si nous, humains, remplissons plutôt bien ces critères, ce n’est pas le cas de tous les primates. Certains, comme les colobes d’Afrique, n’ont pas de pouce, tandis que celui des gibbons d’Asie du Sud-Est n’est qu’un vestige.
La façon qu’ont ces espèces de se déplacer explique probablement cette exception notable, car les pouces leur seraient une entrave (les gibbons se balancent d’une branche à l’autre en utilisant la main comme un corche, alors que les colobes évoluent par bonds successifs). Chez les prosimiens, le second orteil de chaque pied est pourvu non pas d’un ongle mais d’une griffe, qui leur sert de peigne pour le toilettage.
Tout ceci illustre l’extraordinaire diversité des primates. En termes de taille, par exemple, ils montrent d’énormes variations ; le plus petit, le microcèbe mignon de Madagascar, pèse à peine 30 g, tandis que le plus imposant, le gorille mâle, est 4000 fois plus lourd avec ses 120 kg. Certaines espèces de lémuriens, aujourd’hui éteintes, pesaient même jusqu’à 200 kg.
Nonobstant, les primates présentent tous une allure identique, avec les mêmes traits corporels caractéristiques des mammifères.
Primate ou non ?
Les corps des primates ne présentant que peu de spécificités, tracer la frontière qui les sépare des autres mammifères se révèle difficile. Quels animaux faut-il inclure dans la famille des primates ? On a proposé, au cours du XXᵉ siècle, de nombreux candidats, parfois incongrus.
Ainsi, les primates ayant des dents semblables à celles des chauves-souris frugivores, certains scientifiques ont suggéré que celles-ci devaient appartenir à la même classe, en dépit de leur envergure de 1,50 m qui, elle, n’évoque en rien les primates. La génétique moléculaire nous confirme aujourd’hui que les deux sous-familles de chauves-souris (celle des frugivores et celle des insectivores, plus petits et qui nous sont plus familiers) ont un ancêtre commun. Il semble donc que les chauves-souris soient des chauves-souris, et non nos cousines.
On a également considéré le cas des deux espèces de galéopithèques (ou colugos) d’Indochine et d’Indonésie. Chez ces mammifères de la taille d’un chat, un repli de peau relie les bras aux jambes et leur permet de planer sur des distances allant jusqu’à 150 m. Mais, malgré la similitude de leurs dents, ce ne sont ni des lémuriens, ni de réels “volants”. Il se peut, néanmoins, qu’ils descendent de ces mêmes anciens mammifères (les Plésiadapidae), qui, il y a 65 millions d’années, donnèrent naissance aux primates.
Les prétendants les plus crédibles ont sans conteste été les toupayes, qui évoluent dans les bas étages des forêts d’Asie du Sud-Est. Ce n’est que dans les années 1970 que l’on a pu conclure qu’ils appartenaient à un ordre à part. Scandentia, classé à côté des insectivores.
*les singes araignées (ou atèles) sont dotés d’une queue préhensile qui fait office de cinquième main. Ils peuvent ainsi se suspendre à une branche avec leur queue, tout en cueillant des fruits à l’aide de leurs mains.