
Signaux vocaux – les prosimiens

Quelques espèces de prosimiens, tels les makis catta, sont actives de jour comme de nuit. Ainsi vivent-elles en groupes sociaux, qui sont plus efficaces pour lutter contre les prédateurs.
Ces espèces usent alors de cris spécifiques plutôt que d’odeurs pour prévenir les membres de leur groupe d’un danger. Il est intéressant de constater que leurs cris diffèrent selon le type de prédateurs : les makis catta poussent des cris grinçants ou aigus lorsqu’ils voient un oiseau de proie, mais jappent pour un prédateur terrestre. De cette manière, leurs congénères sont aptes à prendre les mesures appropriées : se cacher sous les feuillages face aux premiers et grimper dans les arbres pour échapper aux seconds.
Mieux encore : les makis catta répondent aussi aux cris d’alarme des sifakas, autres lémuriens diurnes partageant leur habitat. Ceux-ci ont également des modulations différentes selon les prédateurs : un appel grinçant pour les oiseaux de proie et un appel qui ressemble à “shifark” (d’où leur nom qui se prononce ainsi) pour les prédateurs terrestres. Les cris ressemblants du maki catta et du sifaka expliquent peut-être pourquoi ces deux espèces se comprennent.
Le chant des indris et des tarsiers
Les appels sonores servent en outre à défendre les territoires, mais ils ne sont usités que par les espèces diurnes comme les indris. Ceux-ci, les plus grands lémuriens, ressemblent un peu à des ours en peluche. Fait étonnant pour des animaux de cette taille, ils se déplacent par bonds d’arbre en arbre, comme les galagos, grâce à leurs longues et puissantes jambes. Pour défendre leur territoire, les indris hurlent d’une manière extraordinaire et inquiétante. Quant à leurs appels, ou chants usuels, ils les poussent jusqu’à sept fois par jour, et ceux-ci sont communicatifs : lorsqu’un groupe commence à chanter, tous les groupes de la région se joignent au chant l’un après l’autre. Les chants sont utilisés aussi bien pour défendre les limites du territoire que pour réunir les membres d’un groupe, leur permettant, le cas échéant, de faire front face aux prédateurs.
Dis moi comment tu cries…
Etudier les prosimiens à l’état sauvage est extrêmement difficile. Ils sont petits et vivent la nuit ; il faut donc beaucoup d’attention et de patience pour apprendre quelque chose de leur vie. Quand les premiers scientifiques ont tenté de dénombrer les différentes espèces de galagos, ils n’ont pu le faire par l’observation direct et ont dû travailler sur les dépouilles de galagos morts. Même si certains galagos sont très semblables par la taille et l’apparence, c’eût été une faute que de les rassembler pour autant en une seule espèce.
L’usage d’instruments sophistiqués, comme les radiofréquences, les caméras à infrarouge et les magnétophones, a permis d’étudier ces animaux dans leur milieu naturel, et l’on s’est bientôt rendu compte qu’il existait bien plus d’espèces de galagos qu’on ne l’avait pensé. Les différences étaient passées inaperçues jusqu’alors, car les galagos se distinguent entre eux surtout par leurs cris. Chaque espèce émet un appel à l’accouplement spécifique, auquel seul un membre de la même espèce, mâle ou femelle selon les cas, peut répondre. Les cris sont donc, bien plus que l’apparence, le meilleur moyen de distinguer les diverses espèces d’animaux nocturnes.
Pour les galagos, l’amour est peut-être aveugle, mais il n’est pas sourd, et ceux qui les étudient pourraient dire : “dis-moi comment tu cries, je te dirai qui tu es”.

Les tarsiers de Sulawesi, l’un des plus petits primates nocturnes du Sud-Est asiatique, défend aussi son territoire par une variété de cris et d’appels. Les couples ou les groupes familiaux se placent près de l’endroit où ils dorment, au centre du territoire, et crient pour prévenir les autres tarsiers du groupe de se tenir à distance pendant que mâles et femelles vont s’accoupler. En réunissant leurs différentes voix, ils produisent un chant délicieux à entendre pour une oreille humaine, mais qui n’est sans doute pas aussi agréable pour les tarsiers du voisinage priés de rester éloignés.
Comme l’illustrent ces divers exemples, les sons et les odeurs sont aussi efficaces que les signaux visuels pour délivrer des messages. Certes, les prosimiens emploient des méthodes de communication fort différentes de celles des primates diurnes. Cependant, les raisons de communiquer sont les mêmes : protéger les ressources de nourriture, trouver des partenaires et avertir des dangers.

