Un mystère insoluble
Le dernier refuge des lémuriens
Les lémuriens de Madagascar montrent de quoi les prosimiens sont capables. Isolés des autres primates, ils ont évolué en une déconcertante variété d’espèces, qui ont exploité toutes les niches écologiques que Madagascar peut proposer aux primates. Avant que les humains n’arrivent et fassent disparaître de nombreuses espèces, la diversité de leur taille allait du microcèbe, le plus petit primate, jusqu’au Megaladapis, plus grand qu’un gorille. Elles s’étaient spécialisées dans tous les genres de nourriture, des fruits aux feuilles et de la gomme des arbres aux graines des graminées. Aujourd’hui encore, les lémuriens montrent une grande diversité de modes de vie, du maki catta, au comportement proche de celui des singes, jusqu’au aye-aye, l’un des animaux les plus étranges de la création, qui se comporte comme un oiseau. Les singes et les grands singes sont certes plus évolués, mais les prosimiens ne doivent pas être sous-estimés.
Nul ne sait au juste comment les premiers lémuriens sont arrivés à Madagascar. La seule chose que l’on sache avec certitude est qu’ils ont investi l’île après qu’elle s’est détachée du continent africain, cet événement s’étant produit durant l’ère des dinosaures, plusieurs millions d’années avant l’arrivée des prosimiens.
Alors, comment ont-ils fait ? On pense qu’ils auraient pu effectuer la traversée sur des radeaux. Il arrive, en effet, que des pans de terre, souvent guère plus qu’un amas de végétaux, dérivent sur les océans. Les premiers lémuriens qui ont colonisé Madagascar étaient sans toute très petits, comme les lémurs d’aujourd’hui. De tels animaux pouvaient donc facilement être emportés par ces radeaux et y survivre pendant un voyage de plusieurs milliers de kilomètres, d’autant que la végétation constituant leurs radeaux contenait tout ce dont ils avaient besoin pour se nourrir.
Quelle que soit la manière dont ils y sont parvenus, ils ont eu la chance que leur nouvelle terre les ait protégés de toute compétition avec les singes et les grands singes, compétition qui, en revanche, a provoqué la disparition de nombreux prosimiens sur le continent. Ainsi, les prosimiens africains n’ont pas pu lutter avec les singes et grands singes plus évolués devenus les maîtres de leurs forêts. Il leur aurait fallu investir les étroites niches écologiques qu’occupent aujourd’hui les galagos et les loris sur le continent, vivant la nuit et se nourrissant essentiellement d’insectes.
Une expérience écologique
À Madagascar, en l’absence de toute compétition avec d’autres primates, les lémuriens ont pu évoluer en une quarantaine d’espèces. Cette île représente donc un terrain d’expérience écologique unique, et nous donne l’occasion d’apprécier la manière dont ces animaux ont su s’adapter à de nombreux modes de vie différents. Ils n’en ont pas pour autant adopter un chemin inédit pour s’intégrer aux niches écologiques de l’île. Ainsi, ils ont en fait évolué parallèlement aux singes et grands singes continentaux, répondant aux défis de la vie en forêt tropicale d’une manière assez similaire à ces derniers.
Diversité des lémuriens
On classe les lémuriens de Madagascar en quatre grandes familles. La première est celle des cheirogales et des microcèbes qui, solitaires, occupent la niche nocturne typique des prosimiens vivant hors de Madagascar.
La deuxième comprend les indris et les sifakas, de grands lémuriens diurnes vivant en petits groupes. Ce sont les lémuriens les plus grands, et ils se nourrissent de préférence de feuilles. Les indris sont aussi les prosimiens les plus grands, pesant environ 10 kg. Les deux espèces se déplacent en bondissant d’arbre en arbre, le corps à la verticale, un indri pouvant franchir 10 m d’un seul bond.
Les lépilémurs et les lémurs forment la troisième famille. Les lépilémurs sont nocturnes et peu sociables. Bien que les mâles et les femelles partagent un petit nombre d’habitats, ils passent l’essentiel de leur vie seuls, ne se rencontrant qu’une à trois fois par nuit pour se nourrir, se reposer ou se toiletter. Les makis catta, les hapalémurs et les lémurs mongoz sont de “vrais” lémurs. De la taille d’un écureuil, ils sont plus sociables et vivent en groupes pouvant compter trente individus. Ces différents lémurs ont des régimes très divers. Les makis catta sont friands de fruits et de feuilles, tandis que les lémurs mongoz passent jusqu’à 84% de la saison sèche à se nourrir de nectar. Les hapalémurs se nourrissent de jeunes pousses et de feuilles de bambou.
Enfin, nous trouvons les aye-aye, uniques survivants de leur famille. Cette espèce, sans doute la plus étrange parmi les lémuriens, semble avoir évolué de manière à occuper la niche écologique des piverts, oiseaux qui n’existent pas à Madagascar.
Ce large éventail d’espèces et de modes de vie démontre avec quel succès les lémuriens ont su investir les niches écologiques de Madagascar dévolues aux primates. Et, pourtant, les lémuriens ont, par le passé, été encore plus diversifiés. Avant l’arrivée des hommes sur l’île, il y a 2000 ans, existaient encore des lémuriens géants, plus évolués que les koalas et les paresseux d’aujourd’hui. Hélas, ces géants très lents n’étaient pas en mesure de résister aux changements causés par la venue des hommes, et plus de 14 espèces, aujourd’hui connues par des restes fossiles, disparurent.