Une vie qui tient à un fil
animaux sauvages

Une vie qui tient à un fil

Les colobes d’Afrique de l’Est ont été chassés durant des siècles pour leur superbe fourrure noir et blanc, transformée en tapis

Les derniers 400 ans ont vu disparaître de la planète le quart des espèces de la plupart des familles animales. Les primates ont été relativement chanceux et, à notre connaissance, aucune espèce n’a disparu durant cette période. Mais gardons-nous bien de trop d’optimisme. Elargissons le champ au dernier millénaire, et ce sont au moins 15 espèces de lémuriens qui manquent à l’appel. C’est le tiers des espèces de lémuriens actuelles, et 7% environ de toutes les espèces vivantes de primates. Et nous ne sommes informés que de celles-là….

Pire encore, nous n’avons peut-être pas évalué à sa juste mesure toute notre capacité destructrice sur les primates. Parce qu’ils vivent longtemps et s’adaptent relativement bien par rapport aux autres animaux, ils résisteront peut-être plus longtemps à la disparition de leurs habitats et à la chasse. Les listes d’espèces en danger, établies par des organisations telles que l’Union internationale pour la conservation de la nature, ne nous incitent pourtant guère à l’optimisme : pas moins du tiers des espèces vivantes de primates sont en voie d’extinction dans un futur proche.

Un quatuor maléfique

Quatre menaces pèsent principalement sur la survie à long terme des primates : la destruction de leurs habitats, la chasse, leurs nombres limités en individus et la pression exercée par les humains.

Au cours des deux derniers siècles, la destruction des habitats s’est accélérée. Le bois dur des tropiques est très prisé, mais ces arbres poussent très lentement (il leur faut parfois un siècle pour atteindre la maturité). La déforestation se produit donc à un rythme beaucoup plus rapide que la repousse. De surcroît, on préfère souvent cultiver des zones qui pourraient être reboisées.

Des pays tels que l’Ouganda et le Nigeria ont ainsi perdu jusqu’à 90% de leur couverture forestière aux cours des deux derniers siècles. La plupart des pays exportateurs de bois puisent dans leurs ressources naturelles à un rythme qu’ils ne seront bientôt tout simplement plus à même de soutenir. 

Le problème vient en partie de ce que les forêts ont plus de valeur une fois abattues et vendues que debout. Leur valeur future, sous quelque forme que ce soit, sera forcément inférieure à leur valeur actuelle sous forme de bûches. Il nous faut, à long terme, trouver le moyen de revaloriser les forêts de ces pays.

Dans de nombreuses régions du globe, les primates sont également menacés en tant que la source de viande. En Amérique du Sud, où ce sont les grands mammifères les plus nombreux, ils remplissent traditionnellement les marmites des tribus indiennes. En Afrique occidentale, ce que l’on appelle le commerce de la viande de brousse est une activité économique de longue date, et les primates, y compris les chimpanzés, en sont un article notable. Dans certaines régions, des espèces comme le drill ont frôlé l’extinction. 

En Extrême-Orient, les primates sont un mets de choix.

D’autres espèces ont également été chassées pour diverses raisons. En Ethiopie et en Afrique de l’Est, les colobes blanc et noir furent capturés par centaines de milliers pour leur fourrure séduisante. Entre 1871 et 1891, quelque 1.75 millions de peaux transitèrent ainsi par le marché londonien. Il y a encore peu de temps, on en faisait des descentes de lit pour les touristes : 25 singes sous les pieds !

L’essor continuel de la démographie empira les choses, notamment vis-à-vis des espèces rares que le nombre réduit d’individus rend particulièrement vulnérables. L’exemple des primates n’est bien évidemment pas unique. Nous sommes actuellement les témoins d’extinctions d’espèces animales à une échelle que la planète n’a connue que cinq fois jusqu’à présent, la dernière étant marquée par la disparition des dinosaures.

On appel “méga-extinctions” ces cas rares d’extinctions massives et soudaines. Mais celle qui se produit aujourd’hui diffère notablement des autres. Alors que les précédentes résultaient de changements climatiques, cette, les hommes en sont la cause. La démographie a littéralement explosé au cours des derniers siècles. Pour subvenir à ses besoins, l’homme a transformé la terre en sols agraires, et s’est mis à empiéter de façon catastrophique sur les habitats naturels des animaux. De vastes étendues forestières sont abattues chaque année pour nourrir notre insatiable appétit de matériaux de construction, de papier et, dans une moindre mesure, de combustible. C’est ainsi, en surface, la moitié de la Suisse qui disparaît chaque année de la forêt amazonienne.

Préservation contre conservation

On a traditionnellement tenté de remédier à la disparition des espèces en transformant des zones sauvages en parcs nationaux ou en réserves, assurant ainsi une protection maximale aux animaux, tout en refoulant la population locale. Mais cette mesure échoue bien souvent. La confiscation des terres pastorales ou agraires traditionnelles est en effet source d’amertume, et, face à la pénurie de terre due à la croissance démographique, les indigènes empiètent peu à peu sur les réserves. Les gouvernements locaux sont souvent impuissants, voire réticents, à sanctionner ceux qui enfreignent les lois. La peur de l’instabilité politique et les exigences souvent légitimes des indigènes ne facilitent pas le juste équilibre entre les besoins de préservation des espèces et les leurs. On a alors créé de nouveaux parcs nationaux dans des zones peu habitées. Mais si les conflits avec la population locale s’en sont trouvés réduits, l’habitat protégé n’est pas toujours le plus approprié pour les animaux.

Un nouveau mouvement, né dans les années 1970, a mis l’accent sur la conservation plutôt que sur la préservation par exclusion. La conservation prend en compte les intérêts de la population locale en la faisant profiter économiquement  du tourisme. L’idée était que si les touristes y trouvaient leur compte, ils en feraient la promotion. Malheureusement, cette approche plus éclairée n’a pas toujours été couronnée du succès escompté. Les intérêts des agriculteurs ne coïncident pas toujours avec ceux de la conservation (ils se passeraient bien, par exemple, des nuisances causées par les primates qui s’en prennent aux récoltes).

Si grands soient nos efforts pour concilier conservation des espèces et développement économique et social, nous risquons fort d’être dépassés. Au bout du compte, c’est le rythme de croissance de la population humaine qui est à la base du problème. Plus que toute autre chose, c’est notre incapacité à prendre les bonnes décisions face aux problèmes qui se posent à nous qui est la cause de nos échecs. Il ne fait aucun doute que nous survivrons tant que la technologie nous permettra de profiter toujours plus des ressources de la planète. Mais, à moins d’une action radicale dès aujourd’hui, il n’est pas certain que tous les primates entreront avec nous dans le prochain millénaire.

La démographie sans cesse croissante constitue la plus sérieuse menace pour la survie des primates. Les besoins des cités en expansion causent d’énormes contraintes environnementales, comme ici à la Paz, en Bolivie.

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