Vivre dans la nuit
Vivre la nuit. D’une manière générale, les prosimiens sont de petits et discrets habitants des arbres qui ne sortent que la nuit, lorsqu’ils se mettent en quête, seuls, de nourriture.
On ne les trouve qu’en Asie et en Afrique : galagos et pottos en Afrique ; lémuriens à Madagascar ; loris en Asie. L’Asie est également l’habitat d’un étrange prosimien connu sous le nom de tarsier. Ce minuscule animal possède simultanément des caractères archaïques et modernes, et certains scientifiques voient en lui un chaînon manquant entre les prosimiens et les singes.
Le galagos et les loris partagent souvent leur habitat avec les singes, mais, étant strictement nocturnes, ils ne se retrouvent pas pour autant en compétition avec leurs grands cousins qui, eux, sont diurnes. Cela signifie que plusieurs espèces peuvent coexister dans un même habitat et remplir les niches écologiques qui leur conviennent. Une niche écologique correspond à une manière de vivre dans un habitat donné : ainsi les prosimiens occupent généralement la niche écologique nocturne des insectivores tandis que les singes vivent dans la niche diurne des frugivores.
Les lémuriens forment une exception à la règle. Le fait qu’il n’y ait pas d’autres primates sur l’île de Madagascar a permis à de nombreux lémuriens de vivre le jour, et la niche écologique traditionnelle des prosimiens est, ici, occupée par certains cheirogales ou microcèbes qui se mettent, après la tombée de la nuit, à la recherche d’insectes.
La plupart des prosimiens nocturnes sont des chasseurs solitaires. Ils restent seuls durant la plupart de leurs heures d’éveil, bien que les femelles puissent être accompagnées de leur jeune progéniture. On ne sait pas exactement pourquoi ces animaux nocturnes sont aussi solitaires. Cependant, cela pourrait être lié à leur nourriture, essentiellement constituée d’insectes et de gomme, une substance produite sous l’écorce des arbres. Ces aliments sont difficiles à partager, contrairement aux feuilles et aux fruits que mangent les singes et les grands singes, et il est plus facile de chasser les insectes seul.
Une autre explication tient au fait qu’il est plus aisé d’échapper aux prédateurs. Si les primates diurnes se protègent en vivant groupés (plus, il y a d’yeux et d’oreilles, mieux, on localise les agresseurs), il n’en va pas de même pour les animaux nocturnes. D’autres paires d’yeux et d’oreilles ne seraient d’aucun secours, car les prédateurs nocturnes, tels les léopards, attendent silencieusement en embuscade le passage d’une éventuelle victime. Le meilleur moyen pour les prosimiens d’éviter d’être mangé consiste donc à faire en sorte que les prédateurs ne décèlent pas leur présence. Se fondre dans le paysage en se camouflant est une technique possible. Se déplacer seul, un animal solitaire étant moins bruyant et moins repérable qu’un groupe, en est une autre.
Se déplacer
Bien que partageant un même monde crépusculaire, les prosimiens ont des manières très différentes de se déplacer. Les lémurs et les cheirogales détalent le long des branches comme les petits rongeurs. Les pottos et les loris grimpent lentement à l’aide de leurs quatre pattes, et leurs mouvements sont parfois si lents qu’ils donnent l’impression de bouger au ralenti. Les galagos se déplacent rapidement en bondissant et en s’accrochant aux branches. Propulsés par de longs membres postérieurs, ils font des sauts spectaculaires entre les arbres, maintenant leur corps à la verticale durant le vol. Alors que les cheirogales et les lémurs n’ont pas d’adaptation physiologique particulière liée au mouvement, les galagos et les loris sont dotés de caractères distinctifs dus à leurs modes de déplacement.
Les galagos réalisent leurs bonds impressionnants grâce à leurs longs membres postérieurs dotés d’un astragale très grand, ainsi qu’à leur longue queue qui fait office de balancier. Leurs types d’habitats vont de la forêt dense à la savane broussailleuse et leur manière de se déplacer convient à l’une comme à l’autre. Ils possèdent de grands yeux pour une bonne vision nocturne, essentielle afin de repérer les insectes, et peuvent bouger indépendamment leurs grandes oreilles dans le but de localiser la provenance d’un son. Ils sont si habiles qu’ils peuvent attraper les insectes en plein vol. La majorité des galagos mangent aussi des fruits et certains, la gomme des arbres. Leur grande agilité et leurs reflexes rapides leur permettent d’échapper aux prédateurs : en une succession de bonds rapides, un galago peut couvrir 10 m en moins de 5 secondes.
A l’inverse, les pottos et les loris se sont si bien adaptés à vivre sur un rythme lent qu’ils ont perdu toute aptitude à sauter. Au contraire des galagos, les loris ont des queues très courtes et trapues, et leurs bras et jambes ont à peu près la même longueur. Leurs oreilles sont plus petites. L’aspect des loris est tel que le primatologue Pierre Charles-Dominique les compare à de “lents petits oursons se déplaçant avec précaution”. Les loris se déplacent avec une telle lenteur et une telle coordination des gestes qu’ils sont très difficiles à repérer et peuvent traverser la végétation la plus épaisse sans faire de bruit. Cela les rend quasi invisibles aux yeux des prédateurs, et leur permet de surprendre leurs proies. Ils chassent avec leur odorat, gardant le nez collé à la branche sur laquelle ils se meuvent en reniflant les créatures lentes (que les autres éviteraient souvent). Chenilles aux poils toxiques, chauves-souris à l’odeur nauséabonde ou mille-pattes venimeux. Toujours à l’inverse des galagos, les loris vivent uniquement en forêt, leur manière de se déplacer étant plus adaptée à la végétation épaisse.
Éviter les dangers
Se mouvoir lentement réduit les chances d’être vu, mais peut aussi se révéler dangereux lorsque les animaux rencontrent par inadvertance un prédateur. Dans ce cas, les loris ne tentent pas de fuir : ils se figent, restant complètement immobiles et silencieux.
Ils peuvent demeurer ainsi des heures durant, aidés en cela par la spécificité des vaisseaux sanguins de leurs mains et de leurs poignets leur évitant picotements et fourmillements qui leur auraient fait lâcher prise sur la branche.
De nombreuses espèces ont aussi des moyens de défenses particulières pour décourager les prédateurs. Le potto, par exemple, possède un bouclier de peau épaisse formant une bosse sur le dos. En cas de danger, il rentre la tête et charge son agresseur pour le heurter avec son bouclier ou pour le mordre. Si tout marche bien, l’attaquant tombera de la branche et sera incapable de retrouver sa victime.