Un mode de vie tropical
animaux sauvages

Un mode de vie tropical

Outre leurs caractéristiques physiques, les primates ont en commun une autre particularité importante : ce sont tous, excepté l’homme, des mammifères tropicaux. Seules les forêts tropicales leur offrent tout au long de l’année les fruits et les feuilles nécessaires à leur survie. Les forêts des latitudes tempérées sont soit formées de conifères (et donc absolument pas adaptées), soit trop saisonnières (et donc incapables de nourrir les primates durant l’hiver). Seul un petit nombre d’espèces pointe son nez dans les régions subtropicales d’Europe et d’Asie. Les macaques de Barbarie (ou magots), par exemple, ont un pied à Gibraltar à l’extrémité sud du continent européen ; les macaques du Japon ont, quant à eux, élu domicile dans les terres enneigées du nord du Japon.

Présents sur tous les continents et dans tous les types d’habitat, nous, humains, sommes la véritable exception. Il n’en a cependant pas toujours été ainsi, dans la mesure où nous sommes des créatures récentes du paysage terrestre. Comme celle de nos cousins primates, notre évolution s’est en très grande partie déroulée en Afrique, se limitant à quelques incursions dans les régions principalement tropicales d’Asie du Sud-Est. Ce n’est qu’à l’arrivée de l’homme moderne, voilà tout juste 100 000 ans, que nous nous sommes aventurés sur toute la surface du globe, en une déferlante qui a tout englouti sur son passage. Notre corps lui-même trahit nos origines tropicales. Notre charpente allongée et mince, nos longues jambes sont caractéristiques d’une espèce tropicale plutôt que d’une espèce adaptée aux climats rigoureux, chez laquelle des membres plus courts réduisent la perte de chaleur. Notre absence de pelage résulte d’une adaptation visant à évacuer la chaleur du corps, ce qui obligeait nos ancêtres à s’emmitoufler dans des peaux et à dormir près du feu pour affronter les nuits fraîches et la neige d’Europe et d’Asie du Nord.

 

*Bien qu’ayant autrefois occupé des territoires plus dispersés, les primates (hormis les humains) sont aujourd’hui concentrés dans les zones tropicales, principalement dans les forêts.

Au coeur de l’hiver, les macaques du Japon se réchauffent dans les sources chaudes

Peuplant le nord de l’île japonaise Honshu, les macaques du Japon constituent la population de primates la plus septentrionale. Si les étés y sont chauds et tempérés, les hivers y sont par contre rigoureux et très enneigés, et les animaux vivent dans les conditions les plus rudes.

Par ailleurs assez volcanique, cette région est parsemée de sources chaudes issues du manteau terrestre, qui jaillissent en surface, répandant leur eau bouillante sur le sol glacé. Ainsi, certaines troupes de singe ont pris l’habitude de venir s’installer près de ces sources chaudes en hiver, lorsqu’il gèle. Il semble qu’ils aient adopté ce comportement dans les années 1960, imitant probablement des hommes qui appréciaient de pouvoir se relaxer dans cette source de chaleur naturelle. Toutefois, les singes ont fort bien pu prendre conscience des bienfaits de l’eau chaude en se perchant sur des roches au-dessus des sources.

Comment les macaques survivent aux températures négatives après être sortis de leur bain chaud demeure un mystère. Leur fourrure est certes relativement imperméable, mais un séjour prolongé dans l’eau chaude doit réduire leur capacité à retenir la chaleur corporelle et les rendre plus enclins aux coups de froid.

Les habitats des primates

Leurs adaptations écologiques étant assez limitées, les primates n’occupent en général que les continents et pas les îles, sauf si celles-ci étaient encore rattachées au territoire continental jusqu’à une date récente. Ceci est patent en Asie du Sud-Est, où les primates habitent les îles de l’archipel indonésien (dont Sumatra, Java, Bornéo et Célèbes), qui se sont détachées du continent il y a seulement 10 000 ans, et n’occupent pas les îles isolées depuis beaucoup plus longtemps, comme la Nouvelle-Guinée. Les primates ont été pris au piège sur ces îles indonésiennes par la brusque montée des eaux qui se produisit à la fin de la dernière ère glaciaire.

Les primates sont néanmoins capables de conquérir des terres insulaires. Certaines îles des Caraïbes ont ainsi abrité des espèces de fossiles, dont la dernière s’est éteinte peu après l’arrivée des hommes, il y a environ 4500 ans. Elles seraient arrivées par le sud du continent américain au cours des derniers millions d’années seulement. Mais, le fait est que, une fois installées, ces espèces s’adaptent à une vie sans guère de concurrents. Or, la venue, par la suite, de rivaux écologiques agressifs (tels les hommes) constitue souvent une menace.

Les primates n’ont réussi une parfaite intégration que dans peu d’îles, comme les chaînes insulaires d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Philippines et Japon) et Madagascar.

Madagascar semble être un cas unique, où les animaux venus d’Afrique ne furent confrontés à aucun rival, et purent évoluer en un nombre incroyable d’espèces différentes. Mais, certaines d’entre, elles aussi, ont succombé aux conséquences de l’insularité*.

*insularité : nom féminin. Caractère de ce qui forme une ou des îles. (L’insularité de l’Irlande.)

Cette vulnérabilité est en partie due au fait que les zones restreintes ne peuvent accueillir autant d’espèces que les régions plus vastes. Ce phénomène, le « rapport espèce-surface habitable », s’applique non seulement aux îles océaniques, mais aussi aux forêts peu étendues et aux parcs nationaux, semblables à des habitats insulaires* séparés les uns des autres par des étendues de terre inhospitalière. Ces zones limitées ne pouvant en outre accueillir que des populations restreintes, les espèces y courent davantage de risque d’extinction.

 
 
 
Les macaques noirs de Célèbes, en Indonésie, sont issus d’une population coupée de l’Indochine par une montée des eaux, à la fin de la dernière ère glaciaire.

Taille et alimentation

le régime alimentaire des primates est fonction des forêts qui les hébergent. la plupart des espèces sont insectivores, ou folivores* ou frugivores, ou une combinaison des trois. On ne compte aucun vrai carnivore, excepté peut-être l’homme, ni herbivore, hormis le gélada.

Les hommes ne sont eux-mêmes pas de vrais carnivores : sans légumes pour équilibrer notre régime, nous mourrions d’empoisonnement protéique (comme cela s’est produit lors des premières expéditions vers l’Ouest américain).

Bien que les premiers primates se soient probablement nourris d’insectes, ce régime, s’il est exclusif, ne peut assurer la survie d’aucune espèce, car les insectes sont, d’une part, petits et doivent, d’autre part, être ingérés un à un. Le seuil critique du poids de l’animal semble se situer autour de 1 kg. Les individus plus lourds ne peuvent capturer suffisamment d’insectes chaque jour pour se maintenir en vie.

Les espèces de poids moyen , jusqu’à 10 kg environ, comme les singes-araignées, tendent à être frugivores, tandis que celles plus imposantes, tels les colobes, sont plutôt folivores. Cette particularité tient en grande partie à la quantité disproportionnée de nourriture que les petits animaux doivent ingurgiter chaque jour, les amenant à préférer des aliments très nourrissants d’où ils peuvent facilement extraire les nutriments. Les espèces plus grandes se contentent d’un régime moins nutritif de feuilles, plus difficiles à digérer.

Que le régime alimentaire ait d’importantes implications sur le système digestif et sur la dentition n’a rien de surprenant. les différentes parties du système digestif (estomac, intestin grêle, gros intestin) remplissant des rôles distincts, leurs tailles dépendent du régime de l’espèce. Ainsi, chez les folivores*, les feuilles doivent fermenter pour libérer leursnutriments, un peu comme chez les vaches et les moutons. la cellulose, qui compose les parois des cellules des feuilles, est difficile à digérer, et seules les bactéries peuvent la décomposer. les folivores sont ainsi dotés d’un estomac particulièrement dilaté et rempli de bactéries, qui fait office de cuvette de fermentation. les bactéries sont elles-mêmes digérées dans l’intestin grêle, libérant les nutriments qu’elles ont extraits des feuilles. Chez les frugivores, au contraire, l’estomac est plus petit, et l’intestin grêle, plus long, absorbe efficacement les nutriments tirés de la pulpe des fruits.

*Un phyllophage, ou folivore, est un cas particulier d’organisme phytophage qui se nourrit aux dépens des feuilles, soit en prélevant une partie, soit en suçant les liquides ou la sève.

un vervet du Kenya

Régime alimentaire et répartition

Le régime alimentaire et la taille ont d’autres effets notables sur la vie des primates. Les espèces de grande taille, tels les chimpanzés, ont besoin de plus d’espace que les petites pour satisfaire leurs besoins en nourriture, de sorte que les animaux sont en moins grand nombre sur une surface donnée. En outre, les fruits étant une source de nourriture éphémère, l’habitat des frugivores doit être plus vaste que celui des folivores* pour abriter en permanence au moins un arbre garni de fruits, les feuilles se répartissent de façon plus uniforme, à la fois dans l’espace et dans le temps, et les folivores* se contentent d’aller voir sur l’arbre voisin lorsqu’ils en ont terminé avec le premier.

Le colobe bai de Zanzibar, devenu rare, est un folivore. C’est l’une des espèces de singes les plus menacées
le microcèbe mignon de Madagascar compte parmi les primates les plus petits. pour limiter ses dépenses énergétiques lorsque la nourriture se fait rare, il entre en état de torpeur dans son nid

Plus l’on s’éloigne de l’équateur, moins il y a d’espèces de primates dans une aire donnée, et seules les grandes espèces tendent à habiter loin de l’équateur. Cela est dû au caractère saisonnier des habitats non tropicaux, les grandes espèces souffrant moins d’un manque de nourriture à la mauvaise saison. Les animaux de la taille d’une souris doivent en effet ingurgiter leur propre poids chaque jour, tandis qu’un animal de la taille d’un humain peut jeûner durant 70 jours.

On a par ailleurs constaté, avec quelques étonnements, qu’une communauté regroupant plusieurs espèces, parfois jusqu’à 12 ou 15, accueille rarement plus d’une espèce folivore*. Une forêt africaine typique peut ainsi abriter sept ou huit espèces de frugivores-babouins, cercopithèques, chimpanzés — et un ou deux galagos insectivores, mais elle n’accueillera qu’une seule espèce de colobes folivores*. Cela n’empêche pas ces derniers d’être occasionnellement les plus nombreux, allant jusqu’à représenter la moitié de la population globale. On ne connaît pas encore très bien les raisons de cette singularité. Elle est peut-être due au fait que les folivores* vivent en groupes plus resserrés que les frugivores, les feuilles étant plus abondantes que les fruits. Ou encore à ce que les folivores* n’ont pas à se battre pour leur nourriture autant que les frugivores, qui ne trouvent la leur qu’en quantité limitée.

Les frugivores sont ainsi contraints à adopter diverses « niches écologiques » (chaque espèce développe son propre mode de vie), ce qui conduit à la cohabitation d’espèces distinctes. Une telle séparation écologique peut conduire à la colonisation de la canopée sur différents étages, ou à la spécialisation dans différents types de fruits.

Les primates semeurs de graines

Les primates semblent jouer un rôle important dans l’écologie des forêts tropicales. Sans leur aide, de nombreux arbres tropicaux disparaîtraient.

Le nectar des fleurs du Kapokier constitue plus des trois quarts de l’alimentation du lémur mongoz, sans doute l’espèce qui assure au mieux la pollinisation de cet arbre. Le poids approprié du cheirogale agit comme un levier sur les lianes grimpantes dont il tire le nectar, libérant ainsi le pollen ; la tentation est alors très grande de penser qu’au cours de l’évolution, le cheirogale et la plante ont conclu un pacte fondé sur des services mutuels.

Les primates jouent aussi un rôle important dans la dispersion des graines. De nombreux arbres stoppent la croissance de leurs propres plants, lorsque ceux-ci germent trop près de leur tronc ; ils confient aux oiseaux et aux mammifères le soin de transporter les graines assez loin pour permettre la germination. Les singes s’acquittent particulièrement bien de ce rôle.

Certains possèdent des abajoues où ils stockent les fruits, en attendant de pouvoir les consommer en toute tranquillité. Il arrive que des graines tombent accidentellement, germant ainsi loin de leurs arbres. Elles parcourent même parfois de longues distances dans les intestins de nombreux singes et grands singes. Celles qui ne sont pas brisées lors de la mastication se retrouvent intactes dans les fèces, occasionnellement à des kilomètres des arbres. En outre, l’acide contenu dans l’estomac d’un frugivore « prépare » les graines de certains arbres, celles-ci ne pouvant germer que si elles ont séjourné dans l’estomac d’un animal.

 

 

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